L'Artiisant Production

Voilà le blog de L'ARTIISANT PRODUCTION, label associatif monocorpus créé en 2001. Peu à l'aise et de toute façon peu attiré par la modernité (argument capitaliste/escroquerie participative) je tente malgré tout de surnager avec ces outils informatiques aussi fiables qu'un défenseur du PSG. L'Artiisant n'a pas d'ambition affichée, peu de moyens, aucune subvention, aucun compte à rendre, ne se considère pas comme un "petit label", mais bien comme un "label". Il est grand temps d'arrêter les formules restricitives, les autoflagellations, les hiérarchies culturelles, les jugements quantitatifs. L'action n'a pas de mesure, pas de verre doseur, chaque acte est irrémédiable et participe à un tout. Le quotidien a plus de sens que le film du dimanche soir.

L'ARTIISANT PRODUCTION : 84 En Reculet 01250 RIGNAT . . . . . . . . . . elliottgabony@hotmail.com

Interviews

JOE VITTERBO - Août 2012
Interview réalisée par mail lors de la sortie de son nouvel album "Sometimes you have to stick with the old school ways", où le gars nous livre quelques secrets de fabrication et aborde avec fierté et humilité ses collaborations grandissantes.


- Combien de temps as-tu passé pour réaliser cette galette ? (Entre le choix des sons, le travail de composition, le mixage, mais aussi le travail d'infographie).
     "J'ai recommencé à bosser en solo au printemps 2011. Je venais de finir les illustrations et interludes sonores pour le spectacle "1989" de Gran Kino, l'occasion pour moi de rallumer le sampler. J'avais surtout mis en stand-by les pré-prods de l'album de Dupek puisque l'ambiance n'y était plus. J'ai ressenti une vraie frustration de laisser ce projet de disque inachevé et j'ai eu envie assez radicalement de ne plus avoir à attendre, concéder, argumenter, dépendre de quoi que ce soit artistiquement. Joe Vitterbo s'est rappelé à moi...
     J'ai donc passé quelques mois à accumuler des idées, des bouts de trucs très différents et à essayer peu à peu de trouver la cohérence "naturelle" dans tout ça, de définir mes envies... Mais c'est vraiment à l'automne 2011 que je me suis mis à bosser dans l'optique d'un album, avec une idée et des objectifs plus précis. J'y ai passé beaucoup de temps... Mais au printemps 2012, j'avais une trentaine de morceaux. J'ai fait le tri, peaufiné, puis on a finalisé le mix avec Bichon Nivot en mai et j'ai confié le mastering à Brice Marin en juin. Parallèlement, j'ai travaillé sur l'aspect visuel, je n'avais pas cette fois encore envie de déléguer ou de me contenter d'un bête boîtier cristal... Le temps de faire la sérigraphie de la pochette à la maison et de recevoir le pressage, l'album est sorti mi-juillet dans cette première série limitée."

- Quel est ton mode opératoire ? En sachant que c'est surtout un énorme travail de sampling/mixage, interviens-tu aussi comme musicien de manière plus classique (basse, voix, claviers etc) ?
     "C'est effectivement d'abord lié à l'usage et à l'accumulation de samples, au mixage de ces différentes sources entre elles pour construire un nouveau groove. Je repère et isole des sons, un accord, une boucle ou des ambiances sonores et je construis autour par strates, en y mixant d'autres boucles, d'autres sons et en y rajoutant le squelette rythmique que je vais étoffer peu à peu... J'essaie d'abord de mettre en place 4 ou 8 mesures, puis je développe des arrangements. Je peux alors rajouter quelques claviers, notamment pour la basse, ou pour quelques notes qui viennent enrichir la loop mélodique de base. Je joue ensuite les scratches. Mais je n'ai pas joué de basse live sur ce disque, ni posé la moindre voix. Il y a eu aussi un gros travail lié à la production, au mix, pour tenter d'arriver au son que je voulais à partir d'autant de source différentes."

- Quelle est la différence entre le son East et West ? Pourquoi l'un te correspond plus que l'autre ?
     "C'est vrai que j'ai tendance à dire que je me retrouve plus dans le son du hip-hop US de la côte Est que dans celui de l'Ouest... Mais je généralise ! Disons que dans les années 90, à mes yeux une décennie en or pour cette musique, on opposait beaucoup ces deux écoles. Coté Est on avait New-York, Philadelphie, A Tribe Called Quest, Gangstarr, les Roots, KRS One, Mos Def, le Wu Tang... Un son "urbain" parfois sombre, souvent moins calibré dans lequel je me reconnais en général... Je parle de sombre et urbain mais j'oublie de citer l'influence du jazz didonc ! A l'Ouest la funk, à l'Est souvent un truc plus jazzy... A Los Angeles, on avait le gangsta, le G-Funk, les prods de Dr Dre, des trucs comme Snoop Dog, Tupac ou Warren G ... Mais les contre-exemples ne manquent pas ! Dilated Peoples sont de L.A, Cypress Hill aussi... Et on est en 2012."

- Ton travail peut-il avoir un rendu sur scène ? (techniquement déjà, dans la volonté ensuite)
     "Ca a jamais été quelque chose que j'ai pris en compte, ou même que je crois avoir envisagé pendant la phase de création, que j'ai passé devant l'ordi, plutôt isolé. Techniquement, ça serait difficile. Par exemple parce que j'ai posé beaucoup de scratch sur le disque mais que mes compétences ne me permettent pas de les rejouer live aussi précisément, sans compter qu'il me faudrait huit bras... Ensuite ça reste un travail de boucles, un live consisterait à gérer des envois depuis un ordi. J'ai toujours trouvé ça chiant en tant que spectateur, je pourrais le faire mais j'ai tendance à considérer ça comme une escroquerie. Peut-être dans le cadre d'une collaboration avec un rappeur ou d'autres musiciens, et des morceaux revisités...
     Artistiquement, il n'a pas été construit dans cette dynamique. J'ai tendance à imaginer que c'est un disque à écouter au casque, en marchant ou assis dans le train, le métro, l'avion... C'est la bande-son d'un "trajet". Mais on m'a posé la question donc j'y réfléchis. Et plutôt qu'un concert, je crois que j'aimerais proposer un environnement propice à l'écoute du disque, un espace aménagé, une installation qui permettrait de proposer au public une belle écoute, peut-être assis, peut-être via des casques...Je sais pas si ça verra le jour."

- 23 titres dont une partie sous forme d'interludes voire proches du jingle (terme bête, certes), tu n'as pas voulu te restreindre ou as-tu une idée de concept ?
     "Les deux. Il m'est arrivé de construire 8 mesures et de me dire que je n'avais rien de plus à ajouter, que le beat était là et qu'il suffisait de le mettre en boucle. J'en ai fait des morceaux assez courts effectivement, qui viennent servir de transitions entre d'autres titres. Ca reste du hip-hop, c'est le principe de la répétition de la loop, le genre de truc sur lequel un rappeur pourrait poser. Mais je suis pas rappeur, j'ai donc essayé d'éviter les longueurs et de privilégier les petits tableaux sonores, enchainés dans l'idée d'un mix. J'avais aussi envie de chopper l'auditeur et de le reposer 45 minutes plus tard, je voulais éviter les blancs qui l'auraient fait redescendre... Pour la playlist du disque, j'ai passé pas mal de temps à faire des essais, à essayer des enchaînements pour trouver un truc qui me semble cohérent..."

- Tu étais plutôt sur une approche expérimentale voire noisy (cf "Blind"), ce virage hip-hop a surgi quand ? Qu'en-est-il pour tes projets à venir ?
    ""Blind" est le second disque de Vitterbo, sorti en 2006. Il était effectivement noisy, ambiant, plutôt torturé. C'est un disque né d'une commande de la part d'un ami qui m'a demandé dans l'urgence d'illustrer l'installation d'une déco/expo pour une soirée... J'ai composé presque une heure de son en un mois et j'ai fini par sortir l'ensemble sur cd, sans y avoir retouché. Mais mon premier Ep, "7 1/2 tries", sorti en 2004, est déjà assez hip-hop, quoique plus électro. Ce son là correspondait aussi au matériel que j'utilisais, et à certaines de ses limites à partir desquelles j'avais cherché à me forger un son. Mais j'écoute du hip-hop depuis le début des années 90, tout autant que du rock plutôt noisy. Mon équilibre musical repose sur ces deux piliers. Le hip-hop m'a fait découvrir la black music, la funk, la soul, le jazz... Cette fois j'ai eu envie d'assumer ça pleinement, j'ai eu l'inspiration pour, j'étais décomplexé dans mon rapport à la technique, je me sentais mûr pour un disque de beatmaker. Je sortais aussi de pas mal d'années consacrées au rock, j'ai sans doute eu envie de changer d'air. Peut-être aussi que, jusqu'à présent, je n'y arrivais pas parce que tout en aimant le rap, je ne me suis jamais vraiment senti en phase avec ce milieu et la façon dont il a évolué, le bizness, les prods, le folklore. Même la scène restée "underground", je trouvais souvent qu'elle évoluait vers un truc un peu arty qui n'était pas pour moi. Soit je me sentais illégitime, soit je ne me reconnaissais pas dans l'un ou dans l'autre. Aujourd'hui je m'arrête plus à ce genre de préoccupations, je fais mon truc... Du coup, je suis incapable de te dire quel son aura le prochain ! On verra... Là je recommence parfois à être titillé par des envies de distorsion, c'est le processus habituel, je crois. Mais pour l'instant je suis sur ce disque, j'en suis content, j'ai envie de le défendre.
     Mais j'ai aussi envie de développer les collaborations, comme avec Amanda Bouilloux qui m'a confié la création musicale de son nouveau spectacle "Là" qui mêle danse et voix, une pièce de 35 minutes assez proche de l'ambiance de "Blind", justement. Ou comme avec Gran Kino, pour des illustrations sonores... Ce sont des expériences nouvelles pour moi et je trouve ça intéressant et enrichissant, c'est encore différent du travail en groupe ou du solo. J'ai surtout pas envie de me poser de questions ou de planifier quoi que ce soit, je veux laisser venir les choses et tenter de ne pas scléroser le truc. C'est peut-être un des luxes permis par le fait de bosser seul..."
Merci Joe.   A choper sur : JOE VITTERBO


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L'ARTIISANT - Courant 2012
Auto-interview réalisée dans le but de faire comprendre un peu plus la démarche.

- D'où est née l'asso L'Artiisant ?

"En 2001 mon collègue Benjamin (de Cassage de Burnes) s'est pris d'une envie foudroyante de produire une compile avec des groupes du coin. En fait à cette époque il y avait une bonne dynamique par chez nous entre Bourg en Bresse et Lyon, avec notamment Simfela, Noise, Pipe Arrustut, les débuts de Daïtro... Au-delà des esthétiques musicales on sentait une solidarité simple et évidente, une convivialité naturelle. Pis Benjamin était dans sa période bidouillages avec un petit 4 pistes, un graveur-lecteur CD-audio (à l'époque c'était top!), donc il a fallu se donner les moyens de structurer ça au minimum. Il a monté l'asso avec mon aide, la compile « Charivari volume 1 » a vu le jour en 2002... ensuite il a vite eu la tête ailleurs et je trouvais dommage de ne pas se servir de la structure associative et de la dynamique qu'il avait lancé, j'ai donc poursuivis l'aventure avec la réalisation de la compile « Ludique Von 88 » : j'ai demandé aux groupes de faire des reprises de Ludwig parce que les morceaux sont simples et que chacun peut trouver son bonheur entre les déconnades et les trucs plus profonds. Tout a été réalisé à la maison, à l'arrache bien sûr, mais c'était sympa (NB : Les morceaux sont maintenant sur le site des Ludwig). Pour cette compile j'ai souhaité ouvrir une section dans L'Artiisant que j'ai appelé « Exrose Records », en clin d'oeil à l'historique « Newrose », mais ensuite je me suis dit que ça ne servait à rien de se compliquer la vie et tout est resté au nom de L'Artiisant.
Pour le logo c'est Benjamin qui a chopé ça sur un vieux livre d'histoire, c'est de l'époque de la révolution russe je crois. Enfin je ne sais plus trop mais je l'aime toujours bien ce visuel."



- Quelle est la ligne de conduite ?

"C'est très simple, à l'heure actuelle et depuis le début c'est du DIY (ou ce que j'appelle FSM, fais soi-même), jamais demandé de subventions, jamais imposé quoi que ce soit. Pour les compiles je ne demande aucune participation financière aux groupes. Pour le reste ça fonctionne à l'envie, à la rencontre, comme beaucoup de structures indépendantes. C'est le but sinon quel intérêt ?"



- A destination de quel public et au service de quels artistes ?

"Là-aussi c'est très simple, y'a pas de limites. Le public et les artistes c'est ceux qui s'y retrouvent. Au départ, quand tu prends la première compile, c'est vraiment très éclectique, c'était plutôt dans l'idée d'un manifeste, d'un mouvement où chacun apporte sa pierre. C'est vrai que maintenant je fais plus passer mes goûts persos donc L'Artiisant a tendance à fricoter avec tout ce qui est rock. Toutefois j'aime bien aussi décloissonner les pratiques, par exemple niveau paperasses je dépanne aussi bien des groupes de reprises variétés que des copains hardcoreux. Quand je faisais de la radio je surfais entre la chanson, le dub, le punk, etc... Niveau programmation ou skeuds par contre j'ai souhaité revenir à un peu plus de cohérence avec LD Kharst, Child Meadow, Tobaïas... Mais chaque jour est un nouveau jour."




- Combien de personnes portent le truc ?

"Au niveau des noms dans l'asso c'est toujours Benjamin et moi, mais bon en fait je suis tout seul, Benjamin est parti faire d'autres choses. Mais quand y'a de l'opérationnel j'ai des ami-e-s fidèles qui viennent bosser, ils font même tellement que généralement je n'ai plus grand-chose à faire."




- Quels sont les projets à venir ?

"Normalement après la sortie du split Child Meadow/Remek de cet été 2012 il devrait y avoir les 2 autres splits du projet (Child Meadow/Paper Plane Crash et Remek/Paper Plane Crash), pas encore sûr que je participe mais pourquoi pas, pis aussi mes groupes persos (Tobaïas et Grand Terminal) parce que quand même faut bien que je boive dans mon bol aussi. Je fais de temps en temps du dépannage administratif (Seb and the Radix, Tringles...) pis quelques enregistrements (Fragments of Dirt, Tringles, Hairspray...). Rien n'est planifié. Pourquoi pas une nouvelle compile "CHArivari", le 4ème volume...?"




- Quel regard portes-tu sur le monde musical ?

"Je me sens dépassé et surtout en contradiction avec les habitudes qui se sont installées au fil du temps. Comme je travaille en plus dans une structure subventionnée à rayonnement régional je vois au quotidien les incohérences et dysfonctionnements de ce monde. Mais je me rends compte surtout que c'est la société qui fait ça, pas seulement le monde musical, c'est plus un problème de consciences, de militantisme, de personnalité et d'éducation. Les nouvelles générations n'ont pas le sens du partage, ils consomment. La plupart des jeunes groupes ont des stickers et des tee-shirts avant d'avoir des morceaux, ils payent pour jouer dans les grandes villes quitte à être traités comme de la merde, et ils sont contents ! Certains ne veulent pas jouer dans les café-concerts parce qu'il n'y a pas beaucoup de place, d'autres ne prêtent pas leur matériel...

Je vois aussi que les capricieux et exigeants ont tout ce qu'ils veulent, voire plus, et les humbles et solidaires ont des croûtons de pain. Avec L'Artiisant j'essaie d'amasser des croûtons de pain pour distribuer à ces groupes-là, comme à des canards, et on passe ainsi de bons moments ensemble."

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